Les blockchains ne sont pas les premières à faire fi du territoire lorsqu’il s’agit de considérer l’étendue de leur autorité. J’oserai même affirmer qu’on peut retracer une marche vers des États de plus en plus abstraits de leur géographie s’entamant bien avant l’avènement de l’informatique. Depuis la modernité, les États se sont approprié des territoires de plus en plus grands, usant de sophistications administratives afin d’affirmer leur pouvoir bien au-delà de leur environnement immédiat. En ce sens, nos schèmes mentaux se sont adaptés à l’abstraction du pouvoir, qui est commencée depuis maintenant plusieurs siècles. Tous les services de l’État sont souvent administrés dans des contrées éloignées du citoyen, à savoir une capitale que certains n’ont jamais visitée, dirigée par des gens qu’il n’a jamais rencontrés. Nous acceptons des institutions sur lesquelles nous n’avons que très peu, et de moins en moins d’emprise physique. La numérisation des services de l’État n’est qu’un pas de plus vers un État moins attaché à son territoire, mais qui peut, malgré tout, faire valoir ses droits dans les interactions du corps social.
Pour le citoyen, le pouvoir est déjà désincarné, même si ce pouvoir s’exprime toujours légalement entre les limites de frontières. La motivation principale des États en conquérant des territoires, c’était d’accroitre leur sphère d’influence; mais se sont-ils rendu compte que cela les rendait aussi vulnérables à la compétition d’autres institutions souveraines? Non, car, jusqu’ici, les gouvernements ont pris soin d’enchâsser le monopole de la souveraineté dans des lois, laissant juridiquement impossible la prétention d’acteurs non étatiques de prendre leur place, encore moins un territoire où faire appliquer un droit alternatif au leur. Pourquoi donc s’en inquiéter?
Sauf que l’habitude de se situer loin des institutions a rendu le citoyen concrètement détaché, surtout lorsque le patriotisme s’affaisse au profit d’un État devenu un strict fournisseur de services. Combiné à la disparition du lien physique pour rendre ces services maintenant que le numérique peut presque tout faire, nous en arrivons à un monde où il y a une probabilité non nulle que nous acceptions relativement facilement le pouvoir d’organisations abstraites et décentralisées. Comme les blockchains.
Dans la conquête de ces espaces numériques neufs à coloniser d’administration et d’institutions, les blockchains se trouvent encore aujourd’hui plutôt seules, et mènent véritablement le bal. Ce que nous observons dans l’émergence des cryptos, est-ce du capitalisme débridé à l’allure désorganisée ou est-ce la naissance d’institutions s’apparentant à la naissance d’État déterritorialisés?
La table est mise pour une abstraction totale du pouvoir. Voyons jusqu’où cela pourra aller.
La définition d’État mise au défi
En droit international, la conception d’un État est souvent codifiée par la convention de Montevideo. Elle stipule quatre conditions suffisantes pour reconnaitre une entité morale en tant qu’État souverain:
- 1. Une population permanente
- 2. Un gouvernement
- 3. La capacité d’entrer en relation avec d’autres États, à savoir, être en mesure de déployer des moyens diplomatiques
- 4. Un territoire
Quoique cette définition est ponctuellement contestée par de petites entités tentant de se faire valoir en tant qu’État sans en avoir les moyens, elle décrit bien les comment les États se considèrent mutuellement sur la scène internationale. Mais à l’ère d’Internet et des données, est-elle toujours pertinente?
Parmi les quatre, la condition que le monde numérique met le plus au défi, c’est sans surprise celle du territoire. On s’est habitué aux difficultés de la réalité transnationale du Web 2.0. Les GAFAM ont été particulièrement féroces pour contester les pouvoirs étatiques, et ils se proposent souvent de se substituer aux institutions traditionnelles. Certains ont déjà proposé que ces entreprises sont aussi puissantes que des gouvernements. Sauf que malgré ces défis relevés difficilement qui ont révélé de graves limites des pouvoirs étatiques, il n’en reste pas moins qu’il est encore difficile d’appréhender qu’un État puisse vivre pays. Le pouvoir d’un État s’étend naturellement à tout ce qui se trouve à l’intérieur de ses frontières: les personnes qui s’y trouvent, les biens qu’il abrite et les règles qui gouvernent tous ces sujets. Et derrière les GAFAM, il reste toujours des gens et des objets qui sont soumis à une certaine physicalité, qui sont des acteurs indivisibles au plan juridique et tangibles, contribuant à maintenir la légitimité des pouvoirs nationaux. Pourtant, quand tout est pour ainsi susceptible d’être abstrait sur des bases de données, la condition territoriale n’est peut-être plus aussi importante pour l’exercice du pouvoir.
La possibilité de ne plus associer un territoire à la livraison des services nous offre une toute nouvelle possibilité: celle de comparer concrètement, au plan citoyen, les États les avec les autres. On pourrait établir des critères de cette comparaison afin de savoir ce qu’ils offrent en matière de services. Pour certains, le meilleur État est celui qui offre le plus de libertés civiles. Pour d’autres, il s’agit du meilleur filet social. Certains voient un heureux mélange des deux dans le concept synthétique de «qualité de vie». Ces différenciations sont somme toute futiles pour le citoyen dans le moment, car il n’y a que les personnes morales qui jouissent du plaisir de véritablement choisir leur (leurs?) maison. Les citoyens, dans une très large mesure, sont la proie du monopole territorial de chaque État sur les personnes qui y naissent. En termes financiers, la citoyenneté n’est pas liquide: elle n’est pas échangeable, rarement substitutive, parfois cumulative, et, à moins d’incitatifs graves comme une menace directe à la vie, peu entreprennent l’aventure de l’émigration, qui se fait toujours à la merci du pays d’accueil. Avec la déterritorialisation, on peut envisager une continuité dans la démarche entamée par le libre-échange au niveau des personnes morales pour le transposer à la citoyenneté.
J’irai de spéculations farfelues afin d’expliquer comment cela se transpose dans la pratique. Prenons un citoyen d’un État dématérialisé A habitant sur le territoire d’un État matériel B. Un policier de l’État B pourrait valider les documents d’identité fournis par A sans trop de difficultés. Tous les registres ne sont que des bases de données, et leur vérification pourrait être établie à distance au moyen d’Internet. Notre policier ne travaillant pas pour le compte de l’association de citoyens de l’État dématérialisé B, les prouesses des technologies de la cryptographie pourrait lui permettre de vérifier quand même ces données, à la fois en toute confidentialité et en toute certitude. Les règles et les lois auxquelles le citoyen A est soumis pourraient être appliquées à ce citoyen de façon atomique, lors de chacune de ces interactions auprès d’acteurs du territoire B. Le sujet de ces lois pourrait agir dans un environnement multinational au quotidien, si ces registres pouvaient faire appliquer leurs règles au moyen de contrats intelligents. Le citoyen de l’État A pourrait transiger physiquement avec son voisin citoyen de l’État B, et tous deux pourraient respecter les règles différentes de leur contrat social respectif, lesquelles règles étant rendues compatibles au moyen de différents protocoles standardisés. Les services auxquels le citoyen A a droit pourraient être payés à même les impôts de l’État A, et ce, peu importe où ils sont dispensés, y compris dans l’État B, tant et aussi longtemps que les règles de décaissement sont respectées.
Les personnes morales ont déjà ce privilège de choisir le lieu de leur siège social et de réaliser des interactions internationales analogues à celles décrites entre nos deux citoyens. Les États se le permettent, car il est économiquement rentable d’administrer cette complexité lorsqu’elle est associée à des gains fiscaux, politiques ou économiques. Amener ce système à une plus large échelle, en offrant des opportunités similaires à des personnes physiques, ne présenterait probablement pas le même genre de gains. Il serait trop complexe et coûteux de mettre en place des systèmes étatiques classiques permettant d’administrer des relations entre des acteurs aux obligations diverses lorsqu’il s’agit de gérer de petites valeurs et de petits droits individuels. C’est exactement le genre de bénéfices que les blockchains peuvent offrir, et que les États, eux, peinent à concurrencer. Les blockchains sont peut-être une incarnation du paradoxe de Jevons passant tel un bulldozer sur la myriade de murs logistiques empêchant les individus d’expérimenter une citoyenneté multinationale.
De même les entreprises optimisent fiscalement leurs activités sur plusieurs territoires, on pourrait envisager un fractionnement de la citoyenneté en plusieurs services. Afin de tirer les coûts de l’administration des services sociaux, on pourrait envisager que les gens choisissent leur couverture sociale selon plusieurs «forfaits» se faisant compétition, comprenant des couvertures plus ou moins larges et des garanties plus ou moins solides de la desserte des services. Celui qui voyage beaucoup pourrait chercher des services consulaires plus étayés, et payer le coût de ces représentations. Une entreprise pourrait s’enregistrer parmi un éventail de registres d’entreprises en fonction des avantages fiscaux qu’il recherche, des protections dont il désire se prémunir et de l’administration des marchés dans lesquels il veut inscrire ses activités.
Il est probable qu’une telle conception ne soit pas en pratique possible, car il y a un certain niveau d’interdépendance entre l’hôpital et l’assurance maladie, entre les transports et la sécurité civile, entre le registre foncier et le territoire, une interdépendance qui force un degré minimal d’une politique à échelle géographique. Il est possible que toutes les combinaisons ne soient pas possibles, car on peut voir des liens forts entre certains services, comme l’administration de l’économie et de certains services comme la santé et l’éducation, qui diffusent des dépenses structurantes pour influencer les politiques économiques. C’est la loi de Metcalfe qui détermine les limites des diverses possibilités. Sauf que, technologiquement, cette nouveauté change considérablement notre conception de la citoyenneté et de la relation que nous avons avec l’administration de nos gouvernements. Émigrer sans jamais sortir du pays: c’est peut-être quelque chose que nous pourrions observer dans le prochain siècle.
L’expérience de pensée mise en pratique: deux cas d’étude
Deux grands cas feront, à mon avis, leur marque dans l’histoire comme étant les premiers à contester la nécessité d’un territoire pour garantir les services d’un État. Le premier est Bitnation. En 2014, Bitnation a tenté de fonder une communauté blockchain sur la base d’une association volontaire transterritorale de citoyens numériques. En fournissant, entre autres, une identité à toute personne désireuse d’adhérer à sa gouvernance, le projet a espéré être une solution aux crises migratoires des dernières années. Étant aujourd’hui mort et enterré, Bitnation offrait principalement le service d’identification des migrants illégaux auprès des instances étatiques nationales. Il constitue un exemple flagrant où des solutions déterritorialisées peuvent être des solutions à des problèmes concrets.
L’autre cas, et de loin le plus avancé, c’est celui de l’Estonie. Ayant numérisé l’ensemble de ses services gouvernementaux dans les deux dernières décennies – impôts, subventions, administration des services publics, services consulaires et tout le reste – l’Estonie, ou plutôt, l’e-Estonia est l’État le plus abstrait de son territoire au monde. Il est d’ailleurs le premier à avoir mis en place une ambassade numérique, à savoir, une base de données hébergée au Luxembourg jouant le rôle de copie de toutes les données du registre distribué de l’État estonien.
On peut spéculer très concrètement jusqu’où l’Estonie pourrait pousser l’usage de son ambassade numérique . Dans l’éventualité d’une invasion de son voisin russe qu’elle craint plus que tout, l’Estonie envisagerait de réclamer une place dans le concert des nations malgré l’absence de territoire, en rebootant son État à partir du Luxembourg. Dispersés partout en Europe, les ressortissants estoniens pourraient garder un lien numérique avec leur patrie, qui pourrait peut-être même aller jusqu’à payer taxes et impôts à l’État estonien qui, lui, pourrait compenser les États où vivent ses ressortissants pour les services rendus. Pour l’Estonie, il s’agit d’un investissement militaire.
L’Estonie a poussé le modèle jusqu’à vendre ses produits à des États tiers, dont la Finlande, le Mexique et l’Azerbaïdjan, ce qui lui permet de réaliser des relations diplomatiques inédites. C’est avec la Finlande, nation historiquement proche des Estoniens, que la relation numérique est la plus complète. Les deux gouvernements sont aujourd’hui «connectés», ce qui rend leurs services compatibles entre eux. Par exemple, une entente bilatérale sur les étudiants internationaux entre les deux États se traduit, pour ainsi dire, en de simples lignes de code dans le registre décentralisé. Les inscriptions, les paiements respectifs, les transferts d’informations comme les résultats académiques; tout est ramené à du code, tout est automatique, tout est uniforme, tout n’est que variations de bits sur des registres décentralisés. Le citoyen interagit avec un État qui n’est que du vent. Tout pourrait être ramené à des ententes de la sorte. Imaginons qu’un Finlandais se casse la jambe à Tallinn et qu’il doive bénéficier d’un séjour à l’hôpital, payé selon une entente bilatérale entre les deux nations. À l’aide de sa seule identité, toute l’administration de l’acte médical, son suivi dans son pays d’origine, le paiement des redevances prévues à l’accord: tout peut devenir une transaction sur le registre contenant l’ensemble des conséquences administratives prévues à l’accord. Cette stratégie diplomatique s’incarne dans le Nordic Institute for Interoperability Solutions, mis sur pied conjointement par la Finlande et l’Estonie, qui régularise les transferts d’informations sur la base de la technologie X-Road développée par l’Estonie. Il inclut maintenant l’Islande et des collaborations avec le gouvernement des Iles Féroé et Åland.
Les blockchains: proto-États déterrioritalisés
Ce qui réunit les quatre conditions originales de la reconnaissance d’un État, c’est la souveraineté. Un État est souverain lorsqu’il administre librement le réseau de ses services sur ses sujets. Sur une blockchain, il n’y a que le consensus qui soit véritablement en mesure d’exprimer une autorité sur le réseau, le rendant proprement libre d’administrer ses sujets. La blockchain est donc souveraine, tout comme un État.
Même si blockchains ne dérivent pas d’États traditionnels, au contraire de l’expérience estonienne, les blockchains publiques sont de ce type des protoétats déterritorialisés. Hormis la quatrième condition, je crois qu’on peut facilement argumenter qu’elles respectent toutes les conditions normalement reconnues à un État.
- Population. La blockchain gouverne les sujets qui veulent bien se soumettre à son pouvoir. Un citoyen est un portefeuille. Son attachement au registre dépend de l’ampleur des liens administratifs qu’il a avec la chaine. Les valeurs mobilières représentées sur la chaine sont présentement son lien le plus fort. Mais dès que des cas d’utilisation plus substantiels, comme des preuves d’identité, de compétences, de propriété matérielle, des contrats avec des tiers ayant des incidences durables, des représentations de valeurs réelles – et ces choses sont développés à très grande vitesse par des acteurs majeurs sous nos yeux – nous verrons des sujets de plus en plus liés aux chaines.
- Gouvernement. En ce qui a trait aux données qui sont sur la chaine, les noeuds sont souverains et possèdent seuls le droit à la force. Eux seuls peuvent décider, à majorité la plupart du temps, d’y imposer une règle. Quiconque prétend pouvoir les soumettre au droit d’un autre État s’illusionne. La chaine est résiliente. Elle pourrait survivre même si quasiment tous les États nationaux s’alliaient pour lutter contre eux. Elle serait souterraine et poursuivrait ses promesses.
- Diplomatie. Cette condition n’est pas réalisée pour l’heure, mais c’est probablement parce que personne n’a véritablement tenté de construire des ponts entre les blockchains et les États traditionnels. Toutes les blockchains ont des communautés pouvant agir à titre de tribune pour des relations bilatérales. Rien n’indique que de telles relations ne pourront pas s’organiser selon les règles observées dans le monde réel. Des représentations interétatiques sont donc possibles. Et à mon avis, les blockchains publiques ont des intérêts à faire valoir auprès des autres États, point que je détaillerai plus en profondeur dans la prochaine partie. Leur coopération libre est indispensable à la normalisation des relations.
- Territoire. Bien que les blockchains sont déterritorialisées géographiquement, leur pouvoir s’inscrit dans un domaine bien précis. Le consensus n’a d’emprise que sur la chaine. En son sein, il est tout puissant; mais hors de la chaine, il est impotent. Ce trait nous importera aussi dans la deuxième partie, car la chaine a des intérêts, pour ainsi dire, à l’étranger, ce qui exigera d’elle de collaborer avec le monde extérieur.
Il est à noter que, contrairement aux États traditionnels, les blockchains ne sont pas des États captifs. La loi de Metcalfe est la seule qui puisse maintenir les utilisateurs sur la chaine. Le nombre de services, les valeurs qui y sont transigées, les opportunités qu’elle présente amplifient son facteur gravitationnel, modulant l’attrait des masses pour la chaine. De droit, les utilisateurs peuvent toujours la quitter; de fait, plus le temps passera, plus cela deviendra difficile.
Par ailleurs, les blockchains jouissent de pouvoirs dont seuls les États les plus puissants peuvent rêver. Cela risque d’affirmer leur emprise, voire de les lier durablement à certains États réels, qui feront levier sur leurs pouvoirs. Ces relations pourraient brouiller les cartes de plus belle:
- Standardisation. On ne doit pas sous-estimer le pouvoir de la standardisation dans les domaines technologiques, tel l’a compris très récemment l’Union européenne. Les blockchains agissent non seulement comme l’infrastructure d’exécution des règles et de validation des données; elles sont en plus le standard administratif que les ambitions multilatérales peinent à réaliser. Toutes les démarches des instances supranationales, ONU, OCDE, BIS, ISO, ne sont que de vaines entreprises face au potentiel normalisateur des réseaux numériques. Le Web 2.0 nous a bien montré cet effet, où les protocoles de partage d’information n’ont jamais été rendus aussi compatibles. Sur la chaine, la standardisation s’impose comme une condition en partie sine qua non d’utilisation du système. Elle intéresse beaucoup celui qui code, car elle rend ses propres règles utilisables par les autres, et donc sous son système à lui. Selon moi, ce pouvoir de standardisation est encore plus fort que sur le web classique, car la standardisation dans les registres décentralisés revêt un caractère de pouvoir et de valeur qui le rend plus systématiquement intéressant pour ses utilisateurs.
- Omnipotence. La chaine est infaillible dans les limites de son consensus. Code is law. Pour l’utilisateur, ses règles ne sont pas négociables. Ce n’est pas que la rébellion, le crime, la dissidence ne soient pas juste interdite moralement, comme c’est le cas dans le monde réel; la rébellion, le crime, la dissidence sont impossibles dans les limites du consensus. Sur ce point, je crains sérieusement que son pouvoir intransigeant puisse être utilisé à mauvais escient.
- Transnationalité. La décentralisation inhérente aux systèmes des blockchains en fait des registres transnationaux par définition. Où se trouvent ses serveurs, nul n’est tenu de le savoir afin de faire valoir les droits inscrits sur la chaine. C’est justement cette caractéristique qui agace le plus les États réels dans le moment. Il faudra néanmoins que les États composent avec ce fait dans leurs relations avec les chaines.
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Cet état de fait est suffisant pour relayer la puissance des communautés de noeuds derrière les chaines et pour expliquer pourquoi les États ont été jusqu’à présent impuissants pour réglementer les blockchains, et ce, malgré la gravité de leur remise en question des institutions existantes. Les blockchains sont des technologies du pouvoir. Continuer de les traiter comme de simples entreprises débridées, c’est une perte de temps qu’on doit dénoncer. On doit la dénoncer parce que 1. les blockchains offrent des innovations franchement intéressantes pour le commun des mortels, même si cela est encore mal compris. 2. Le cadre traditionnel ne s’applique pas par définition et tenter de les y faire rentrer provoquera toujours des problèmes plus graves 3. les États classiques n’ont pas prouvé être capable d’offrir la même qualité pour certains des services les plus fondamentaux d’un État.
Sur ce dernier point, on révèle une stratégie alternative qui pourrait être adoptée par les gouvernements qui aimeraient lutter contre cette technologie: faire mieux. Si nous ne voulons pas traiter les blockchains comme des États, et gagner définitivement contre elles, il s’agit de la seule solution réaliste. En ce sens, il serait urgent de développer des registres d’État décentralisés sur lesquels tous pourraient développer. Il faut que les données puissent être accessibles pour y construire de meilleurs services gouvernementaux, et que la cryptographie puisse rétablir une certaine confiance en les institutions étatiques chez le citoyen. C’est loin d’être techniquement impossible que de mettre sur pied ce genre de système, mais vu la désorganisation généralisée de plusieurs États à notre époque tumultueuse, incapables de répondre concrètement à des problèmes beaucoup plus simples, je doute que cela soit possible. On parle ici de refaire toute l’architecture administrative de l’appareil public, et de transformer la gouvernance par des responsables et des comités en du code. Et on parle de compétitionner contre quelque chose qui peut partir de zéro, se tromper, recommencer. Je vous laisse faire votre propre conclusion quant à la possibilité que cela survienne.
Le moment où le citoyen comprendra que les blockchains lui permettront de ne plus jamais réécrire deux fois la même information dans un formulaire; qu’il comprendra qu’il a des garanties face aux géants corporatifs et publics là où il n’a que des promesses; qu’il pourra faire usage des mécanismes financiers et administratifs gardés inaccessibles jusqu’alors pour améliorer son sort ; la partie sera finie pour les gouvernements nationaux. Les États devront alors intégrer les blockchains dans leur propre système de pouvoir, peut-être au détriment du bien commun de leurs citoyens. S’ils veulent cependant garder la supériorité dans l’immédiat et pour une fraction du prix, une seule solution se présente à eux: s’engager dans des relations bilatérales avec les chaines.